Félix Guattari (1930-1992). Psychanalyste, proche du courant de la psychiatrie institutionnelle de Jean Oury, il a été membre de l’École freudienne de Lacan. En 1955, il rejoint Jean Oury à la clinique de La Borde. Dans L’Anti-Œdipe (1972) et Mille Plateaux (1980), tous les deux sous-titrés « Capitalisme et schizophrénie », il engage avec Gilles Deleuze une critique de la psychanalyse et de la philosophie contemporaines.
ÉCRITS POUR L’ANTI-ŒDIPE
Textes agencés et présentés par Stéphane Nadaud
Durant trois années, Gilles Deleuze et Félix Guattari ont travaillé ensemble pour concevoir l’un des livres phares des années 1970 : L’Anti-Œdipe (Minuit, 1972). Sur les modalités de cette association inédite, que Gilles Deleuze qualifiera plus tard de « groupuscule », les présents Écrits apportent un éclairage décisif. Sont ici réunis – dans un agencement et une présentation de Stéphane Nadaud – les textes, fragments, notes et corrections de Félix Guattari relatifs à la préparation de L’Anti-Œdipe. Ils permettent de comprendre, de l’intérieur, le fonctionnement de « Deleuze-Guattari », cette extraordinaire machinerie théorique collective.
Qu’est-ce que L’Anti-Œdipe ? Tous ceux qui ont été les contemporains de la sortie de L’Anti-Œdipe en 1972 aux Éditions de Minuit s’en souviennent : ce fut un événement. L’un des événements intellectuels et éditoriaux les plus considérables des années 1970. Au point qu’on a pu dire, non sans exagération sans doute, mais cette exagération était portée par l’enthousiasme, qu’il y avait un « avant » et un « après » L’Anti-Œdipe. C’est-à-dire qu’il y avait un avant et un après dans l’histoire de la philosophie. D’abord parce que, pour la première fois à ce point, la philosophie a intégré à ses moyens les moyens de la psychanalyse (à moins que ces derniers n’aient fait imploser les premiers) ; ensuite parce qu’on n’avait pas connu jusque-là livre plus libre, plus gai, plus juvénile, plus irrévérencieux. C’est la marque distinctive de Mai 68, sans doute, que cette liberté, cette gaieté, cette juvénilité, cette irrévérence. Et c’est ce qui a permis qu’on dise, avec raison, que ce livre était le fruit de 1968 et, entre tous, l’un des plus beaux. Des plus beaux et des plus vénéneux : L’Anti-Œdipe constituait une machine de guerre contre le vieux monde dont 1968 n’était pas venu à bout, et pour l’achever. Machine, machinerie sont des mots qui reviennent d’ailleurs souvent dans le livre. Et que celui-ci justifie pleinement, sans doute : c’est un précis technique et savant, une formidable boîte à outils de la subversion dans laquelle puisent tous ceux qu’une aussi grande efficacité théorique et politique attire irrésistiblement. Et, dans le monde entier, c’est naturellement que les jeunes lecteurs sont attirés par lui et le lisent (le livre est traduit dans de très nombreuses langues).
Qui a écrit L’Anti-Œdipe ? Qui a écrit L’Anti-Œdipe ? Gilles Deleuze, comme on l’a un peu trop souvent dit ? Non : Gilles Deleuze et Félix Guattari. Il faut y insiter, L’Anti-Œdipe est écrit et signé par deux auteurs ; il a donc été écrit à quatre mains. C’est toujours un mystère qu’un livre écrit à quatre mains. Ce l’est au point que la plupart du temps, on privilégie l’un ou l’autre de ses deux auteurs. Mais c’est avec Félix Guattari que Gilles Deleuze l’a pensé et écrit, comme les deux auteurs le rappelleront quelques années plus tard dans Mille Plateaux, achevant de ruiner toute possibilité d’appropriation individuelle : « Nous avons écrit L’Anti-Œdipe à deux. Comme chacun de nous était plusieurs, ça faisait déjà beaucoup de monde. » Et les textes que réunit ce livre – Écrits pour L’Anti-Œdipe – sont ceux que Félix Guattari a écrits pour, avec et près de Gilles Deleuze. Les Écrits pour l’Anti-Œdipe apportent un éclairage DÉCISIF sur la genèse de ce livre majeur. Il nous faut donc imaginer un ordonnancement (un « agencement ») d’un type nouveau où « auteurs » (contenu) et « œuvre » (expression) se confondent, ordonnancement que les deux amis n’ont pas seulement développé théoriquement, mais qu’ils ont aussi mis en pratique dans leur travail commun. Il ne s’agit plus d’envisager Félix Guattari et Gilles Deleuze comme les deux auteurs d’un livre chacun de son côté, mais de les envisager tous deux comme les moyens d’une réciprocité faite pour produire une énonciation par nature collective (et cette énonciation s’inspire sans doute de ce qu’on a pu à juste titre dire de la prise de parole collective de mai 68).
De quoi sont faits Les Écrits pour l’Anti-Œdipe ? Les très volumineuses archives de Félix Guattari sont conservés à l’Institut mémoire de l’Édition contemporaine (IMEC), où elles donnent lieu à de nombreuses recherches. Stéphane Nadaud, auteur d’une thèse de philosophie à l’université de Paris-VIII, a conduit un très important travail d’inventaire du fonds Guattari. Sont donc réunis ici (publiés pour la première fois en 2004 et épuisés depuis 2006) les textes, fiches de lectures, notes et parties du journal intime qui constribueront à l’écriture de L’Anti-Œdipe. Cette publication, sous le seul nom cette fois de Félix Guattari, rendra justice à la part qu’il a prise à ce livre essentiel des années 1970.
Aux Éditions Lignes paraît simultanément De Leros à La Borde, recueil inédit de Félix Guattari présenté par Marie Depussé.
Stéphane Nadaud est à la fois pédopsychiatre et philosophe. Médecin des hopitaux de Paris, il est docteur en philosophie (Paris-VIII). Il est l’auteur de : Homoparentalité, une nouvelle chance pour la famille (Fayard, 2002), Homoparentalité hors-la-loi (Lignes, 2006) et de Fragment(s) Subjectif(s). Un voyage dans les îles enchantées nietzschéennes (l’Unebévue, 2010)Read more on Lignes website