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2012, Félix Guattari : Ecrits pour l’Anti-Œdipe:
Plan de consistance (1972)
présentation par Stéphane Nadaud”
1971 : Dans un texte proposé à Deleuze, « Plan de consistance », Guattari propose un « trip » : « Devenez schizo en 20 leçons ! Inscrivez-vous pour le grand voyage sans passeport et sans Ithaque. »
Mars 1972 : sortie de l’Anti-Œdipe. Où l’on découvre un Guattari en proie aux doutes, par rapport au docte Deleuze, vis-à-vis du lourd poids à porter qu’est le tome I de Capitalisme et schizophrénie -- « Je me sens un peu surcodé par l’Anti-Œdipe. » Ce qui ne le décourage pas de proposer un plan pour le tome II. Nous livrons ici des textes écrits en février-mars 1972, flux « schizo-déconnomaniaque »consistant en un mélange de morceaux de son journal (1), de notes de lecture, d’ébauches de textes théoriques, de citations marquantes, d’expériences « cliniques » avec ses clients en analyse, ou encore de rêves. Guattari n’hésitait pas à faire de ceux-ci l’objet d’analyse de groupe dans son séminaire : « C’est une tentative d’analyse de rêve. D’abord une remarque préalable, la nature de ce rêve -- mais je crois qu’au fond il en va de même pour tous les autres rêves -- implique absolument qu’on ne puisse pas masquer les noms propres et à la différence de ce qu’on essayé de faire Freud et les autres commentateurs, je crois qu’on ne peut masquer les noms propres que si on a une technique d’interprétation qui émascule les singularités (2) ». Respectant cette idée, nous avons laissé les noms propres, dès lors que nous disposions de l’accord des intéressés. Nous suivons en cela Guattari lui-même lorsqu’il explique dans ses séminaires qu’en aucun cas il ne faut mettre les initiales des noms dans les analyses de rêve ou de cas cliniques (Bertha Pappenheim n’est pas Anna O. !). On se réclamera donc de Guattari lui-même pour publier ce qu’on pourrait trouver par trop « intime », intimité que Guattari récuse : « Ce journal n’est pas intime. Il pourrait en principe être diffusé. J’ai assez prêché autour de moi les vertus de l’analyse de groupe, appelé à la confection de monographies militantes… Me voilà au pied du mur (3). » En les publiant, on répond en partie à la question que Guattari se pose à lui-même : « Comment l’accumulation de ce genre de notes dispersées pourrait-elle entrer dans le monde des livres (4) ! » ; réponse qu’il fournit d’ailleurs lui-même : « Fondre les genres littéraires, trouver l’issue enfin de cette discontinuité de ce chaos de non-existence elle-même. »
Juin 1972 : à nouveau le « Plan de consistance ». La pensée de Guattari en action. Dans ces morceaux, a priori épars, ces objets partiels aurait-on envie de dire, s’organise un corps -- sans organe -- de la pensée de Guattari. Non pas une organisation au sens d’organisme (les objets partiels ne sont pas des organes) mais une zone intensive particulièrement stable, pour reprendre les termes de Bateson à propos du concept de plateau, d’où s’échappe une ligne de fuite sur l’intensité telle quels « conçoit » Artaud, et où l’on sent « cette course subtile, au milieu d’une pensée en déroute où la subtilité du problème cherché se confond avec la fuite subtile de cette même pensée ». En action donc, ou plutôt en procès, la folle et intensive -- on n’ose dire schizo -- pensée de Guattari. On a affaire à un texte des plus nietzschéens (cf les allusions directes à Nietzsche, à la « sur-humanité », au « désir du sur-homme », etc.). Qu’est-ce que le plan de consistance ? C’est toute la démarche de Guattari : affirmer que « derrière les strates d’énonciation collective […] il existe non pas une loi, une super-axiomatique, mais un phylum machinique. » Ne pas finir comme l’homme de la campagne devant la Loi dans la parabole de Kafka (5).
Septembre-octobre 1972 : des textes d’après l’Anti-Œdipe qui s’inscrivent dans un travail en cours qui aboutira à la publication, en 1975, des réflexions communes de Deleuze et Guattari sur la « littérature mineure ». Kafka hante ces textes. Et l’écriture de Guattari prend des accents kafkaïens. écriture d’errance : « Ecrire pour ne pas crever, pour crever autrement ». Ecriture incertaine avec beaucoup d’hésitations et de phrases barrées, ce qui est plutôt rare dans le reste de ses notes. Moment de roture en arrière : retour sur le travail avec Deleuze. Difficulté à être comme la guêpe et l’orchidée : « Ce qui se joue dans mes rapports avec Gilles c’est la conjonction, la greffe avec rejet partiel ou total, de deux sortes d’organisation socio-libidinales. » Et toujours cette terrible comparaison : Deleuze « travaille beaucoup. On n’est vraiment pas de la même dimension ! Je suis une sorte d’autodidacte invétéré, un bricoleur, un personnage à la Jules Verne - Voyage au centre de la terre. A ma façon je n’arrête pas… » Avec des tentatives de fuite : « Ce qui me plairait c’est de déconner. Publier ce journal par exemple. » Retour aussi sur l’Anti-Œdipe : où en est l’Œdipe, l’alternance moléculaire / molaire ? Guattari remet la psychanalyse au travail, essentiellement autour d’un de ses concepts centraux : l’interprétation, notamment celle des rêves. Où reviennent Kafka et ses « soixante-cinq rêves » (6).
On voit ici un Guattari qui essaie de ne pas se perdre : « Garder mon stylo, ma manière propre. Mais je ne me retrouve pas vraiment dans l’AO. Il est nécessaire que je renonce à courir derrière l’image de Gilles et derrière le fini, la perfection qu’il a apportée à la dernière possibilité de livre. »
On voit un Guattari qui, désespérément, tente l’ouverture de lignes de fuite dans la machine Deleuze-Guattari… Pour repartir dans une autre : « Conjonction de deux machines : la machine littéraire de l’oeuvre de Kafka et ma propre machine de Guattari. »
Stéphane Nadaud
Présentation du chapitre « Plan de consistance »
Ecrits pour l’Anti-Œdipe / Félix Guattari / 1972 / 2012
1 Une édition partielle du journal de F. Guattari sur l’année 1971, présentée par J-P. Faye, a été publiée dans la Nouvelle Revue française en deux parties : F. Guattari, « Journal 1971″, la Nouvelle Revue française, octobre 2002 n°563, p. 317-351. F. Guattari, « Journal 1971″, la Nouvelle Revue française, janvier 2003, n°564, p.335-359.
2 Séminaire du 30/10/84, « Un oubli et un lapsus dans un rêve ».
3 F. Guattari, « Journal 1971″, la Nouvelle Revue française, octobre 2002, n°563, p. 328.
4 Ibid, p. 329
5 F. Kafka, le Procès, Paris, Gallimard, Pléiade, 1976, p. 453-455.
6 Cf. note 105 de cette partie.
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